Première L - Lycée Victor Hugo, Besançon
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 Français - Textes de l'oral du BAC

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Alicia P.
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Alicia P.


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MessageSujet: Français - Textes de l'oral du BAC   Français - Textes de l'oral du BAC Icon_minitimeMer 14 Oct - 18:00

    Pour inaugurer cette rubrique, je poste la liste des textes que nous devons avoir dans notre porte-vues pour le BAC.
    En espérant avoir aidé les flemmards... tongue


      LISTE DES TEXTES (classés par séquence)

      - Michel de Montaigne, extrait de « De la vanité », Essais, III, chapitre IX, 1588.
      - Jean de La Fontaine, Fable au choix, Fables, X, fable II, 1668-1678.
      - Jean-Jacques Rousseau, extrait de L’Émile ou De l’Éducation, V, 1762.
      - Florian, « Le Voyage », Fables, XXI, 1792.

      - Voltaire, extrait du « Chapitre 1. Comment le prieur de Notre-Dame de la Montagne et mademoiselle sa sœur rencontrèrent un Huron », L’Ingénu, 1767
      - Voltaire, extrait du « Chapitre 3. Le Huron, nommé l'Ingénu, converti », L’Ingénu, 1767
      - Voltaire, extrait du « Chapitre 8. L'Ingénu va en cour. Il soupe en chemin avec des huguenots », L’Ingénu, 1767
      - Voltaire, extrait du « Chapitre 16. Elle [la Belle de Saint-Yves] consulte un jésuite », L’Ingénu, 1767
      - Voltaire, extrait du « Chapitre 20. La belle Saint-Yves meurt, et ce qui en arrive », L’Ingénu, 1767

      - William Shakespeare, Prologue de Roméo et Juliette, 1596
      - William Shakespeare, extrait de l'Acte I, scène 2 de Roméo et Juliette, 1596
      - William Shakespeare, extrait de l'Acte II, scène 1 de Roméo et Juliette, 1596
      - William Shakespeare, extrait de l'acte V, scène 3 de Roméo et Juliette, 1596

      - Joachim Du Bellay, « Heureux qui, comme Ulysse... », sonnet XXXI des Regrets, 1558
      - Paul Verlaine, « Chanson d'automne », poème V, section Paysages Tristes des Poèmes saturniens, 1866
      - Charles Baudelaire, « Le serpent qui danse », poème XXVIII, section Spleen et Idéal des Fleurs du mal, 1857
      - Guillaume Apollinaire, « Le Pont Mirabeau », poème du recueil Alcools, 1913

      - Charles Juliet, extrait de la partie II de Lambeaux, 1995
      - Charles Juliet, extrait de Lambeaux, 1995
      - Charles Juliet, commentaire comparé de deux extraits de la partie I de Lambeaux, 1995
      - Charles Juliet, extrait de la partie II de Lambeaux, 1995
      - Charles Juliet, extrait de la partie II de Lambeaux, 1995

      - Gustave Flaubert, incipit, extrait du Chapitre I, Première Partie, Madame Bovary, 1857
      - Gustave Flaubert, extrait du Chapitre II, Première Partie, Madame Bovary, 1857
      - Gustave Flaubert, extrait du Chapitre VIII, Deuxième Partie, Madame Bovary, 1857
      - Gustave Flaubert, extrait du Chapitre VIII, Troisième Partie, Madame Bovary, 1857
      - Gustave Flaubert, excipit, extrait du Chapitre XI, Troisième Partie, Madame Bovary, 1857



Dernière édition par Alicia P. le Sam 12 Juin - 15:56, édité 9 fois
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MessageSujet: Re: Français - Textes de l'oral du BAC   Français - Textes de l'oral du BAC Icon_minitimeMer 14 Oct - 18:18



DE LA VANITE



Moi, qui le plus souvent voyage pour mon plaisir, ne me guide pas si mal. S’il fait laid à droite, je prends à gauche ; si je me trouve malpropre à monter à cheval, je m’arrête. En faisant ainsi, je ne vois à la vérité rien qui ne soit aussi plaisant et commode que ma maison. Il est vrai que j’en trouve la superfluité toujours superflue, et marque de l’empêchement en la délicatesse même et en l’abondance. Ai-je laissé quelque chose à voir derrière moi ? J’y retourne ; c’est toujours mon chemin. Je ne trace aucune ligne certaine, ni droite, ni courbe. Ne trouvé-je point où je vais, ce qu’on m’avait dit ? Comme il advient souvent que les jugement d’autrui ne s’accordent pas aux miens, et les ai trouvés plus souvent faux, je ne plains pas ma peine ; j’ai appris que ce qu’on disait n’y est point.
J’ai la complexion du corps libre et le goût commun, autant qu’homme du monde. La diversité des façons d’une nation à autre ne me touche que par le plaisir de la variété. Chaque usage a sa raison. Soient des assiettes d’étain, de bois, de terre, bouilli ou rôti, beurre ou huile de noix ou d’olive, chaud ou froid, tout m’est un, et si un que, vieillissant, j’accuse cette généreuse faculté, et aurai besoin que la délicatesse et le choix arrêtât l’indiscrétion de mon appétit et parfois soulageât mon estomac. Quand j’ai été ailleurs qu’en France, et que, pour me faire courtoisie, on m’a demandé si je voulais être servi à la française, je m’en suis moqué et me suis toujours jeté aux tables les plus épaisses d’étrangers.
J’ai honte de voir nos hommes énivrés de cette sotte humeur de s’effaroucher des formes contraires aux leurs : il leur semble être hors de leur élément quand ils sont hors de leur village. Où qu’ils aillent, ils se tiennent à leurs façons ; et abominent les étrangères. Retrouvent-ils un compatriote en Hongrie, ils festoient cette aventure : les voilà à se railler et à se recoudre ensemble, à condamner tant de mœurs barbares qu’ils voient. Pourquoi non barbares, puisqu’elles ne sont françaises ? Encore sont-ce les plus habiles qui les ont reconnues, pour en médire. La plupart ne prennent l’aller que pour le venir. Ils voyagent couverts et resserrés d’une prudence taciturne et incommunicable, se défendant de la contagion d’un air inconnu.
Ce que je dis de ceux-là me ramentait, en choses semblables, ce que j’ai parfois aperçu en aucuns de nos jeunes courtisans. Ils ne tiennent qu’aux hommes de leur sorte, nous regardent comme des gens de l’autre monde, avec dédain ou pitié. Ôtez-leur les entretiens des mystères de la cour, ils sont hors de leur gibier, aussi neufs pour nous et malhabiles comme nous sommes à eux. On dit bien vrai qu’un honnête homme c’est un homme mêlé.


Michel de Montaigne, « De la vanité », Essais, III, chapitre IX, 1588.


N'oubliez pas les alinéas, que l'on ne peut pas mettre sur le Forum!



L’instruction qu’on retire des voyages se rapporte à l’objet qui les fait entreprendre. Quand cet objet est un système de Philosophie, le voyageur ne voit jamais que ce qu’il veut voir ; quand cet objet est l’intérêt, il absorbe toute l’attention de ceux qui s’y livrent. Le commerce et les arts, qui mêlent et confondent les peuples, les empêchent aussi de s’étudier. Quand ils savent le profit qu’ils peuvent faire l’un avec l’autre, qu’ont-ils de plus à savoir ?
Il est utile à l’homme de connaître tous les lieux où l’ont peut vivre, afin de choisir ensuite ceux où l’on peut vivre le plus commodément. Si chacun se suffisait à lui-même, il ne lui importerait de connaître que le pays qui peut le nourrir. Le Sauvage, qui n’a besoin de personne et ne convoite rien au monde, ne connaît et ne cherche à connaître d’autres pays que le sien. S’il est forcé de s’étendre pour subsister, il fuit les lieux habités par les hommes ; il n’en veut qu’aux bêtes et n’a besoin que d’elles pour se nourrir. Mais pour nous, à qui la vie civile est nécessaire et qui ne pouvons plus nous passer de manger des hommes, l’intérêt de chacun de nous est de fréquenter les pays où l’on en trouve le plus. Voilà pourquoi tout afflue à Rome, à Paris, à Londres. C’est toujours dans les Capitales que le sang humain se vend à meilleur marché. Ainsi l’on ne connaît que les grands peuples, et les grands peuples se ressemblent tous.
Nous avons, dit-on, des savants qui voyagent pour s’instruire ; c’est une erreur ; les savants voyagent par intérêt comme les autres. Les Platon, les Pythagore ne se trouvent plus, ou, s’il y en a, c’est bien loin de nous. Nos savants ne voyagent que par ordre de la cour ; on les dépêche, on les défraye, on les paye pour voir tel ou tel objet, qui très sûrement n’est pas un objet moral. Ils doivent tout leur temps à cet objet unique ; ils sont trop honnêtes gens pour voler leur argent. Si, dans quelque pays que ce puisse être, des curieux voyagent à leurs dépens, ce n’est jamais pour étudier les hommes, c’est pour les instruire. Ce n’est pas de science qu’ils ont besoin, mais d’ostentation. Comment apprendraient-ils dans leurs voyages à secouer le joug de l’opinion ? ils ne les font que pour elle.
Il y a bien de la différence entre voyager pour voir du pays ou pour voir des peuples. Le premier objet est toujours celui des curieux, l’autre n’est pour eux qu’accessoire. Ce doit être tout le contraire pour celui qui veut philosopher. L’enfant observe les choses en attendant qu’il puisse observer les hommes. L’homme doit commencer par observer ses semblables, et puis il observe les choses s’il en a le temps.
C’est donc mal raisonné que de conclure que les voyages sont inutiles, de ce que nous voyageons mal. Mais, l’utilité des voyages reconnue, s’ensuivra-t-il qu’ils conviennent à tout le monde ? Tant s’en faut ; ils ne conviennent au contraire qu’à très peu de gens ; ils ne conviennent qu’aux hommes assez fermes sur eux-mêmes pour écouter les leçons de l’erreur sans se laisser séduire, et pour voir l’exemple du vice sans se laisser entraîner. Les voyages poussent le naturel vers sa pente, et achèvent de rendre l’homme bon ou mauvais. Quiconque revient de courir le monde est à son retour ce qu’il sera toute sa vie : il en revient plus de méchants que de bons, parce qu’il en part plus d’enclins au vices des peuples qu’ils fréquentent, et pas une des vertus dont ces vices sont mêlés ; mais ceux qui sont heureusement nés, ceux dont on a bien cultivé le bon naturel et qui voyagent dans le vrai dessein de s’instruire, reviennent tous meilleurs et plus sages qu’ils n’étaient partis. Ainsi voyagera mon Emile : ainsi avait voyagé ce jeune homme, digne d’un meilleur siècle, dont l’Europe étonnée admira le mérite, qui mourut pour son pays à la fleur de ses ans, mais qui méritait de vivre, et dont la tombe, ornée de ses seules vertus, attendait pour être honoré qu’une main étrangère y semât des fleurs.
Tout ce qui se fait par raison doit avoir ses règles. Les voyages, pris comme une partie de l’éducation, doivent avoir les leurs. Voyager pour voyager, c’est errer, être vagabond ; voyager pour s’instruire est encore un objet trop vague : l’instruction qui n’a pas un but déterminé n’est rien. Je voudrais donner au jeune homme un intérêt sensible à s’instruire, et cet intérêt bien choisi fixerait encore la nature de l’instruction. C’est toujours la suite de la méthode que j’ai tâché de pratiquer.


Jean-Jacques Rousseau, extrait de L’Émile ou De l’Éducation, V, 1762.


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LE VOYAGE



Partir avant le jour, à tâtons, sans voir goutte,
Sans songer seulement à demander sa route ;
Aller de chute en chute, et, se traînant ainsi,
Faire un tiers du chemin jusqu’à près de midi ;
Voir sur sa tête alors s’amasser les nuages,
Dans un sable mouvant précipiter ses pas,
Courir, en essuyant orage sur orage,
Vers un but incertain où l’on n’arrive pas ;
Détrempé vers le soir, chercher une retraite,
Arriver haletant, se coucher, s’endormir :
On appelle cela naître, vivre et mourir.
La volonté de Dieu soit faite !


Florian, « Le Voyage », Fables, XXI, 1792.


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MessageSujet: Re: Français - Textes de l'oral du BAC   Français - Textes de l'oral du BAC Icon_minitimeDim 8 Nov - 13:42

Un jour saint Dunstan, Irlandais de nation et saint de profession, partit d’Irlande sur une petite montagne qui vogua vers les côtes de France, et arriva par cette voiture à la baie de Saint-Malo. Quand il fut à bord, il donna la bénédiction à sa montagne, qui lui fit de profondes révérences et s’en retourna en Irlande par le même chemin qu’elle était venue.
Dunstan fonda un petit prieuré dans ces quartiers-là, et lui donna le nom de prieuré de la Montagne, qu’il porte encore, comme un chacun sait.
En l’année 1689, le 15 juillet au soir, l’abbé de Kerkabon, prieur de Notre-Dame de la Montagne, se promenait sur le bord de la mer avec mademoiselle de Kerkabon, sa sœur, pour prendre le frais. Le prieur, déjà un peu sur l’âge, était un très bon ecclésiastique, aimé de ses voisins, après l’avoir été autrefois de ses voisines. Ce qui lui avait donné surtout une grande considération, c’est qu’il était le seul bénéficier du pays qu’on ne fût pas obligé de porter dans son lit quand il avait soupé avec ses confrères. Il savait assez honnêtement de théologie ; et quand il était las de lire saint Augustin, il s’amusait avec Rabelais ; aussi tout le monde disait du bien de lui.
Mademoiselle de Kerkabon, qui n’avait jamais été mariée, quoiqu’elle eût grande envie de l’être, conservait de la fraîcheur à l’âge de quarante-cinq ans ; son caractère était bon et sensible ; elle aimait le plaisir et était dévote.
Le prieur disait à sa sœur, en regardant la mer : "Hélas ! c’est ici que s’embarqua notre pauvre frère avec notre chère belle-sœur madame de Kerkabon, sa femme, sur la frégate l’Hirondelle, en 1669, pour aller servir en Canada. S’il n’avait pas été tué, nous pourrions espérer de le revoir encore.
- Croyez-vous, disait mademoiselle de Kerkabon, que notre belle-sœur ait été mangée par les Iroquois, comme on nous l’a dit ? Il est certain que si elle n’avait pas été mangée, elle serait revenue au pays. Je la pleurerai toute ma vie : c’était une femme charmante ; et notre frère, qui avait beaucoup d’esprit, aurait fait assurément une grande fortune."
Comme ils s’attendrissaient l’un et l’autre à ce souvenir, ils virent entrer dans la baie de Rance un petit bâtiment qui arrivait avec la marée : c’étaient des Anglais qui venaient vendre quelques denrées de leur pays. Ils sautèrent à terre, sans regarder monsieur le prieur ni mademoiselle sa sœur, qui fut très choquée du peu d’attention qu’on avait pour elle.
Il n’en fut pas de même d’un jeune homme très bien fait qui s’élança d’un saut par-dessus la tête de ses compagnons, et se trouva vis-à-vis mademoiselle. Il lui fit un signe de tête, n’étant pas dans l’usage de faire la révérence. Sa figure et son ajustement attirèrent les regards du frère et de la sœur. Il était nu-tête et nu-jambes, les pieds chaussés de petites sandales, le chef orné de longs cheveux en tresses, un petit pourpoint qui serrait une taille fine et dégagée ; l’air martial et doux. Il tenait dans sa main une petite bouteille d’eau des Barbades, et dans l’autre une espèce de bourse dans laquelle était un gobelet et de très bon biscuit de mer. Il parlait français fort intelligiblement. Il présenta de son eau des Barbades à mademoiselle de Kerkabon et à monsieur son frère ; il en but avec eux ; il leur en fit reboire encore, et tout cela d’un air si simple et si naturel que le frère et la sœur en furent charmés. Ils lui offrirent leurs services, en lui demandant qui il était et où il allait. Le jeune homme leur répondit qu’il n’en savait rien, qu’il était curieux, qu’il avait voulu voir comment les côtes de France étaient faites, qu’il était venu, et allait s’en retourner.


Voltaire, « Chapitre 1. Comment le prieur de Notre-Dame de la Montagne
et mademoiselle sa sœur rencontrèrent un Huron », L’Ingénu, 1767


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Monsieur le prieur, voyant qu’il était un peu sur l’âge, et que Dieu lui envoyait un neveu pour sa consolation, se mit en tête qu’il pourrait lui résigner son bénéfice s’il réussissait à le baptiser et à le faire entrer dans les ordres.
L’Ingénu avait une mémoire excellente. La fermeté des organes de Basse-Bretagne, fortifiée par le climat du Canada, avait rendu sa tête si vigoureuse que, quand on frappait dessus, à peine le sentait-il ; et quand on gravait dedans, rien ne s’effaçait ; il n’avait jamais rien oublié. Sa conception était d’autant plus vive et plus nette que, son enfance n’ayant point été chargée des inutilités et des sottises qui accablent la nôtre, les choses entraient dans sa cervelle sans nuage. Le prieur résolut enfin de lui faire lire le Nouveau Testament. L’Ingénu le dévora avec beaucoup de plaisir ; mais, ne sachant ni dans quel temps ni dans quel pays toutes les aventures rapportées dans ce livre étaient arrivées, il ne douta point que le lieu de la scène ne fût en Basse-Bretagne ; et il jura qu’il couperait le nez et les oreilles à Caïphe et à Pilate si jamais il rencontrait ces marauds-là.
Son oncle, charmé de ces bonnes dispositions, le mit au fait en peu de temps : il loua son zèle ; mais il lui apprit que ce zèle était inutile, attendu que ces gens-là étaient morts il y avait environ seize cent quatre-vingt-dix années. L’Ingénu sut bientôt presque tout le livre par cœur. Il proposait quelquefois des difficultés qui mettaient le prieur fort en peine. Il était obligé souvent de consulter l’abbé de Saint-Yves, qui, ne sachant que répondre, fit venir un jésuite bas-breton pour achever la conversion du Huron.
Enfin la grâce opéra ; l’Ingénu promit de se faire chrétien ; il ne douta pas qu’il ne dût commencer par être circoncis ; "car, disait-il, je ne vois pas dans le livre qu’on m’a fait lire un seul personnage qui ne l’ait été ; il est donc évident que je dois faire le sacrifice de mon prépuce : le plus tôt c’est le mieux". Il ne délibéra point : il envoya chercher le chirurgien du village, et le pria de lui faire l’opération, comptant réjouir infiniment mademoiselle de Kerkabon et toute la compagnie quand une fois la chose serait faite. Le frater, qui n’avait point encore fait cette opération, en avertit la famille, qui jeta les hauts cris. La bonne Kerkabon trembla que son neveu, qui paraissait résolu et expéditif, ne se fît lui-même l’opération très maladroitement, et qu’il n’en résultât de tristes effets auxquels les dames s’intéressent toujours par bonté d’âme.
Le prieur redressa les idées du Huron ; il lui remontra que la circoncision n’était plus de mode ; que le baptême était beaucoup plus doux et plus salutaire ; que la loi de grâce n’était pas comme la loi de rigueur. L’Ingénu, qui avait beaucoup de bon sens et de droiture, disputa, mais reconnut son erreur ; ce qui est assez rare en Europe aux gens qui disputent ; enfin il promit de se faire baptiser quand on voudrait.
Il fallait auparavant se confesser ; et c’était là le plus difficile. L’Ingénu avait toujours en poche le livre que son oncle lui avait donné. Il n’y trouvait pas qu’un seul apôtre se fût confessé, et cela le rendait très rétif. Le prieur lui ferma la bouche en lui montrant, dans l’épître de saint Jacques le Mineur, ces mots qui font tant de peine aux hérétiques : Confessez vos péchés les uns aux autres. Le Huron se tut, et se confessa à un récollet. Quand il eut fini, il tira le récollet du confessionnal, et, saisissant son homme d’un bras vigoureux, il se mit à sa place, et le fit mettre à genoux devant lui : "Allons, mon ami, il est dit : Confessez-vous les uns aux autres ; je t’ai conté mes péchés, tu ne sortiras pas d’ici que tu ne m’aies conté les tiens." En parlant ainsi, il appuyait son large genou contre la poitrine de son adverse partie. Le récollet pousse des hurlements qui font retentir l’église.


Voltaire, « Chapitre 3. Le Huron, nommé l'Ingénu, converti », L’Ingénu, 1767


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L’Ingénu prit le chemin de Saumur par le coche, parce qu’il n’y avait point alors d’autre commodité. Quand il fut à Saumur, il s’étonna de trouver la ville presque déserte ; et de voir plusieurs familles qui déménageaient. On lui dit que, six ans auparavant, Saumur contenait plus de quinze mille âmes, et qu’à présent il n’y en avait pas six mille. Il ne manqua pas d’en parler à souper dans son hôtellerie. Plusieurs protestants étaient à table : les uns se plaignaient amèrement, d’autres frémissaient de colère, d’autres disaient en pleurant : Nos dulcia linquimus arva,
Nos patriam fugimus.
L’Ingénu, qui ne savait pas le latin, se fit expliquer ces paroles, qui signifient : "nous abandonnons nos douces campagnes, nous fuyons notre patrie".
"Et pourquoi fuyez-vous votre patrie, messieurs ? - C’est qu’on veut que nous reconnaissions le pape. - Et pourquoi ne le reconnaîtriez-vous pas ? Vous n’avez donc point de marraines que vous vouliez épouser ? Car on m’a dit que c’était lui qui en donnait la permission. - Ah ! monsieur, ce pape dit qu’il est le maître du domaine des rois. - Mais, messieurs, de quelle profession êtes-vous ? - Monsieur, nous sommes pour la plupart des drapiers et des fabricants. - Si votre pape dit qu’il est le maître de vos draps et de vos fabriques, vous faites très bien de ne le pas reconnaître ; mais pour les rois, c’est leur affaire ; de quoi vous mêlez-vous ?" Alors un petit homme noir prit la parole, et exposa très savamment les griefs de la compagnie. Il parla de la révocation de l’édit de Nantes avec tant d’énergie, il déplora d’une manière si pathétique le sort de cinquante mille familles fugitives et de cinquante mille autres converties par les dragons, que l’Ingénu à son tour versa des larmes. "D’où vient donc, disait-il, qu’un si grand roi, dont la gloire s’étend jusque chez les Hurons, se prive ainsi de tant de cœurs qui l’auraient aimé, et de tant de bras qui l’auraient servi ?
- C’est qu’on l’a trompé comme les autres grands rois, répondit, l’homme noir. On lui a fait croire que, dès qu’il aurait dit un mot, tous les hommes penseraient comme lui ; et qu’il nous ferait changer de religion comme son musicien Lulli fait changer en un moment les décorations de ses opéras.


Voltaire, « Chapitre 8. L'Ingénu va en cour. Il soupe en chemin avec des huguenots », L’Ingénu, 1767


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"Voilà un abominable pécheur ! lui dit le père Tout-à-tous. Vous devriez bien me dire le nom de ce vilain homme : c’est à coup sûr quelque janséniste ; je le dénoncerai à sa révérence le père de La Chaise, qui le fera mettre dans le gîte où est à présent la chère personne que vous devez épouser."
La pauvre fille, après un long embarras et de grandes irrésolutions, lui nomma enfin Saint-Pouange.
"Monseigneur de Saint-Pouange ! s’écria le jésuite ; ah ! ma fille, c’est tout autre chose ; il est cousin du plus grand ministre que nous ayons jamais eu, homme de bien, protecteur de la bonne cause, bon chrétien ; il ne peut avoir eu une telle pensée ; il faut que vous ayez mal entendu. - Ah ! mon père, je n’ai entendu que trop bien ; je suis perdue, quoi que je fasse ; je n’ai que le choix du malheur et de la honte : il faut que mon amant reste enseveli tout vivant, ou que je me rende indigne de vivre. Je ne puis le laisser périr, et je ne puis le sauver."
Le père Tout-à-tous tâcha de la calmer par ces douces paroles :
"Premièrement, ma fille, ne dites jamais ce mot mon amant ; il y a quelque chose de mondain, qui pourrait offenser Dieu. Dites mon mari ; car, bien qu’il ne le soit pas encore, vous le regardez comme tel ; et rien n’est plus honnête.
Secondement, bien qu’il soit votre époux en idée, en espérance, il ne l’est pas en effet : ainsi vous ne commettriez pas un adultère, péché énorme qu’il faut toujours éviter autant qu’il est possible.
Troisièmement, les actions ne sont pas d’une malice de coulpe, quand l’intention est pure, et rien n’est plus pur que de délivrer votre mari.
Quatrièmement, vous avez des exemples dans la sainte antiquité, qui peuvent merveilleusement servir à votre conduite. Saint Augustin rapporte que sous le proconsulat de Septimius Acyndinus, en l’an 340 de notre salut, un pauvre homme, ne pouvant payer à César ce qui appartenait à César, fut condamné à la mort, comme il est juste, malgré la maxime : Où il n’y a rien le roi perd ses droits. Il s’agissait d’une livre d’or ; le condamné avait une femme en qui Dieu avait mis la beauté et la prudence. Un vieux richard promit de donner une livre d’or, et même plus, à la dame, à condition qu’il commettrait avec elle le péché immonde. La dame ne crut point mal faire en sauvant la vie à son mari. Saint Augustin approuve fort sa généreuse résignation. Il est vrai que le vieux richard la trompa, et peut-être même son mari n’en fut pas moins pendu ; mais elle avait fait tout ce qui était en elle pour sauver sa vie.
Soyez sûre, ma fille, que quand un jésuite vous cite saint Augustin, il faut bien que ce saint ait pleinement raison. Je ne vous conseille rien, vous êtes sage ; il est à présumer que vous serez utile à votre mari. Monseigneur de Saint-Pouange est un honnête homme, il ne vous trompera pas : c’est tout ce que je puis vous dire ; je prierai Dieu pour vous, et j’espère que tout se passera à sa plus grande gloire."


Voltaire, « Chapitre 16. Elle [la Belle de Saint-Yves] consulte un jésuite », L’Ingénu, 1767


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Au milieu de ce spectacle de la mort, tandis que le corps est exposé à la porte de la maison, que deux prêtres à côté d’un bénitier récitent des prières d’un air distrait, que des passants jettent quelques gouttes d’eau bénite sur la bière par oisiveté, que d’autres poursuivent leur chemin avec indifférence, que les parents pleurent, et que les amants croient ne pas survivre à leur perte, le Saint-Pouange arrive avec l’amie de Versailles.
Son goût passager, n’ayant été satisfait qu’une fois, était devenu de l’amour. Le refus de ses bienfaits l’avait piqué. Le père de La Chaise n’aurait jamais pensé à venir dans cette maison ; mais Saint-Pouange ayant tous les jours devant les yeux l’image de la belle Saint-Yves, brûlant d’assouvir une passion qui par une seule jouissance avait enfoncé dans son cœur l’aiguillon des désirs, ne balança pas à venir lui-même chercher celle qu’il n’aurait pas peut-être voulu revoir trois fois si elle était venue d’elle-même.
Il descend de carrosse ; le premier objet qui se présente à lui est une bière ; il détourne les yeux avec ce simple dégoût d’un homme nourri dans les plaisirs, qui pense qu’on doit lui épargner tout spectacle qui pourrait le ramener à la contemplation de la misère humaine. Il veut monter. La femme de Versailles demande par curiosité qui on va enterrer ; on prononce le nom de mademoiselle de Saint-Yves. A ce nom, elle pâlit et poussa un cri affreux ; Saint-Pouange se retourne ; la surprise et la douleur remplissent son âme. Le bon Gordon était là, les yeux remplis de larmes. Il interrompt ses tristes prières pour apprendre à l’homme de cour toute cette horrible catastrophe. Il lui parle avec cet empire que donnent la douleur et la vertu. Saint-Pouange n’était point né méchant ; le torrent des affaires et des amusements avait emporté son âme qui ne se connaissait pas encore. Il ne touchait point à la vieillesse, qui endurcit d’ordinaire le cœur des ministres ; il écoutait Gordon les yeux baissés, et il en essuyait quelques pleurs qu’il était étonné de répandre : il connut le repentir.
"Je veux voir absolument, dit-il, cet homme extraordinaire dont vous m’avez parlé ; il m’attendrit presque autant que cette innocente victime dont j’ai causé la mort." Gordon le suit jusqu’à la chambre où le prieur, la Kerkabon, l’abbé de Saint-Yves et quelques voisins rappelaient à la vie le jeune homme retombé en défaillance.
"J’ai fait votre malheur, lui dit le sous-ministre, j’emploierai ma vie à le réparer." La première idée qui vint à l’Ingénu fut de le tuer, et de se tuer lui-même après. Rien n’était plus à sa place ; mais il était sans armes et veillé de près. Saint-Pouange ne se rebuta point des refus accompagnés du reproche, du mépris, et de l’horreur qu’il avait mérités, et qu’on lui prodigua. Le temps adoucit tout. Mons de Louvois vint enfin à bout de faire un excellent officier de l’Ingénu, qui a paru sous un autre nom à Paris et dans les armées, avec l’approbation de tous les honnêtes gens, et qui a été à la fois un guerrier et un philosophe intrépide.
Il ne parlait jamais de cette aventure sans gémir ; et cependant sa consolation était d’en parler. Il chérit la mémoire de la tendre Saint-Yves jusqu’au dernier moment de sa vie. L’abbé de Saint-Yves et le prieur eurent chacun un bon bénéfice ; la bonne Kerkabon aima mieux voir son neveu dans les honneurs militaires que dans le sous-diaconat. La dévote de Versailles garda les boucles de diamants, et reçut encore un beau présent. Le père Tout-à-tous eut des boîtes de chocolat, de café, de sucre candi, de citrons confits, avec les Méditations du révérend père Croiset et la Fleur des saints reliées en maroquin. Le bon Gordon vécut avec l’Ingénu jusqu’à sa mort dans la plus intime amitié ; il eut un bénéfice aussi, et oublia pour jamais la grâce efficace et le concours concomitant. Il prit pour sa devise : malheur est bon à quelque chose. Combien d’honnêtes gens dans le monde ont pu dire : malheur n’est bon à rien !


Voltaire, « Chapitre 20. La belle Saint-Yves meurt, et ce qui en arrive », L’Ingénu, 1767


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MessageSujet: Re: Français - Textes de l'oral du BAC   Français - Textes de l'oral du BAC Icon_minitimeSam 19 Déc - 19:49

PROLOGUE

LE CHŒUR

Deux familles, égales en noblesse,
Dans la belle Vérone, où nous plaçons notre scène,
Sont entraînées par d’anciennes rancunes à des rixes nouvelles
Où le sang des citoyens souille les mains des citoyens.
Des entrailles prédestinées de ces deux ennemies
A pris naissance, sous des étoiles contraires, un couple d’amoureux
Dont la ruine néfaste et lamentable
Doit ensevelir dans leur tombe l’animosité de leurs parents.
Les terribles péripéties de leur fatal amour
Et les effets de la rage obstinée de ces familles,
Que peut seule apaiser la mort de leurs enfants,
Vont en deux heures être exposés sur notre scène.
Si vous daignez nous écouter patiemment,
Notre zèle s’efforcera de corriger notre insuffisance.

William Shakespeare, Prologue, Roméo et Juliette, 1596
traduction de François-Victor Hugo


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SCENE II


LE JARDIN DES CAPULET.
SOUS LES FENETRES DE L’APPARTEMENT DE JULIETTE.
ENTRE ROMEO.


‏ ROMEO. - Il se rit des plaies, celui qui n’a jamais reçu de blessures ! (Apercevant Juliette qui apparaît à une fenêtre.) Mais doucement ! Quelle lumière jaillit par cette fenêtre ? Voilà l’Orient, et Juliette est le soleil ! Lève-toi, belle aurore, et tue la lune jalouse, qui déjà languit et pâlit de douleur, parce que toi, sa prêtresse, tu es plus belle qu’elle-même ! Ne sois plus sa prêtresse, puisqu’elle est jalouse de toi ; sa livrée de vestale est maladive et blême, et les folles seules la portent : rejette-la !... Voilà ma dame ! Oh ! voilà mon amour ! Oh ! si elle pouvait le savoir !... Que dit-elle ? Rien... Elle se tait…. Mais non ; son regard parle, et je veux lui répondre... Ce n’est pas à moi qu’elle s’adresse. Des deux plus belles étoiles du ciel, ayant affaire ailleurs, adjurent se yeux de vouloir bien resplendir dans leur sphère jusqu’à ce qu’elles reviennent. Ah ! si les étoiles se substituaient à ses yeux, en même temps que ses yeux aux étoiles, le seul éclat de ses joues ferait pâlir la clarté des astres, comme le grand jour, une lampe ; et ses yeux, du haut du ciel, darderaient une telle lumière à travers les régions aériennes, que les oiseaux chanteraient, croyant que la nuit n’est plus. Voyez comme elle appuie sa joue sur sa main ! Oh ! que ne suis-je le gant de cette main ! Je toucherais sa joue !
JULIETTE. – Hélas !
ROMEO. – Elle parle ! Oh ! parle encore, ange resplendissant ! Car tu rayonnes dans cette nuit, au-dessus de ma tête, comme le messager ailé du ciel, quand, aux yeux bouleversés des mortels qui se rejettent en arrière pour le contempler, il devance les nuées paresseuses et vogue sur le sein des airs !
JULIETTE. – Ô Roméo ! Roméo ! pourquoi es-tu Roméo ? Renie ton père et abdique ton nom ; ou, si tu ne le veux pas, jure de m’aimer, et je ne serai plus une Capulet.
ROMEO, à part. – Dois-je l’écouter encore ou lui répondre ?
JULIETTE. – Ton nom seul est mon ennemi. Tu n’es pas un Montague, tu es toi-même. Qu’est-ce qu’un Montague ? Ce n’est ni une main, ni un pied, ni un bras, ni un visage, ni rien qui fasse partie d’un homme... Oh !sois quelque autre nom ! Qu’y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom. Ainsi, quand Roméo ne s’appellerait plus Roméo, il conserverait encore les chères perfections qu’il possède... Roméo, renonce à ton nom ; et, à la place de ce nom qui ne fait pas partie de toi, prends-moi toute entière.
ROMEO. – Je te prends au mot ! Appelle-moi seulement ton amour et je reçois un nouveau baptême : désormais je ne suis plus Roméo.

William Shakespeare, Acte II, scène II, Roméo et Juliette, 1596
traduction de François-Victor Hugo


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SCENE PREMIERE


VERONE – LA PROMENADE DU COURS, PRES DE L A PORTE DES BORSARI.
ENTRENT MERCUTIO, BENVOLIO, UN PAGE ET DES VALETS.


BENVOLIO. – Je t’en prie, bon Mercutio, retirons-nous ; la journée est chaude ; les Capulets sont dehors, et, si nous les rencontrons, nous ne pourrons pas éviter une querelle : car, dans ces jours de chaleur, le sang est furieusement excité !
MERCUTIO. – Tu m’as tout l’air d’un de ces gaillards qui, dès qu’ils entrent dans une taverne, me flanquent leur épée sur la table en disant : Dieu veuille que je n’en aie pas besoin ! et qui, à peine la seconde rasade a-t-elle opéré, dégainent contre le cabaretier, sans qu’en réalité il en soit besoin.
BENVOLIO. – Moi ! J’ai l’air d’un de ces gaillards-là ?
MERCUTIO. – Allons, allons, tu as la tête aussi chaude que n’importe quelle drille d’Italie ; personne n’a plus d’emportement que toi à prendre de l’humeur et personne n’est plus d’humeur à s’emporter.
BENVOLIO. – Comment cela ?
MERCUTIO. – Oui, s’il existait deux êtres comme toi, nous n’en aurions bientôt plus un seul, car l’un tuerait l’autre. Toi !mais tu te querelleras avec un homme qui aura au menton un poil de plus ou de moins que toi ! Tu te querelleras avec un homme qui fera craquer des noix, par cette unique raison que tu as l’oeil couleur noisette : il faut des yeux comme les tiens pour découvrir là un grief ! Ta tête est pleine de querelles, comme l’oeuf est plein du poussin ; ce qui ne l’empêche pas d’être vide, comme l’oeuf cassé, à force d’avoir été battue à chaque querelle. Tu t’es querellé avec un homme qui toussait dans la rue, parce qu’il avait réveillé ton chien endormi au soleil. Un jour, n’as-tu pas cherché noise à un tailleur parce qu’il portait un pourpoint neuf avant Pâques, et à un autre parce qu’il attachait ses souliers neufs avec un vieux ruban ? Et c’est toi qui me fais un sermon contre les querelles !
BENVOLIO. - Si j’étais aussi querelleur que toi, je céderais ma vie en nue-propriété au premier acheteur qui m’assurerait une heure et quart d’existence.
MERCUTIO. - En nue-propriété ! Voilà qui serait propre !

ENTRENT TYBALT, PETRUCHIO ET QUELQUES PARTISANS.

BENVOLIO. - Sur ma tête, voici les Capulets.
MERCUTIO. - Par mon talon, je ne m’en soucie pas.
TYBALT, à ses amis. - Suivez-moi de près, car je vais leur parler... (A Mercutio et à Benvolio) Bonsoir, messieurs : un mot à l’un de vous.
MERCUTIO. - Rien qu’un mot ? Accouplez-le à quelque chose : donnez le mot et le coup.
TYBALT. - Vous m’y trouverez assez disposé, messire, pour peu que vous m’en fournissiez l’occasion.
MERCUTIO. - Ne pourriez-vous pas prendre l’occasion sans qu’on vous la fournît ?
TYBALT. - Mercutio, tu es de concert avec Roméo...
MERCUTIO. - De concert ! Comment ! nous prends-tu pour des ménestrels ? Si tu fais de nous des ménestrels, prépare-toi à n’entendre que désaccords. (Mettant la main sur son épée.) Voici mon archet ; voici qui vous fera danser. Sangdieu, de concert !
BENVOLIO. - Nous parlons ici sur la promenade publique ; ou retirons-nous dans quelque lieu écarté, ou raisonnons froidement de nos griefs, ou enfin séparons-nous. Ici, tous les yeux se fixent sur nous.
MERCUTIO. - Les yeux des hommes sont faits pour voir : laissons-les se fixer sur nous : aucune volonté humaine ne me fera bouger, moi !
TYBALT, à Mercutio. - Allons, la paix soit avec vous, messire ! (Montrant Roméo.) Voici mon homme.
MERCUTIO. - Je veux être pendu, messire, si celui-là porte votre livrée : morbleu, allez sur le terrain, il sera de votre suite ; c’est dans ce sens-là que votre seigneurie peut l’appeler son homme.
TYBALT. - Roméo, l’amour que je te porte ne me fournit pas de terme meilleur que celui-ci : Tu es un infâme !
ROMEO. - Tybalt, les raisons que j’ai de t’aimer me font excuser la rage qui éclate par un tel salut... Je ne suis pas un infâme... Ainsi, adieu : je vois que tu ne me connais pas. (Il va pour sortir.)
TYBALT. - Enfant, ceci ne saurait excuser les injures que tu m’as faites : tourne-toi donc, et en garde !
ROMEO. - Je proteste que je ne t’ai jamais fait injure, et que je t’aime d’une affection dont tu n’auras idée que le jour où tu en connaîtras les motifs... Ainsi, bon Capulet... (ce nom m’est aussi cher que le mien), tiens-toi pour satisfait.
MERCUTIO. - Ô froide, déshonorante, ignoble soumission ! Une estocade pour réparer cela ! (Il met l’épée à la main.) Tybalt, tueur de rats, voulez-vous faire un tour ?
TYBALT. - Que veux-tu de moi ?
MERCUTIO. - Rien, bon roi des chats, rien qu’une de vos neuf vies ; celle-là, j’entends m’en régaler, me réservant, selon votre conduite future à mon égard, de mettre en hachis les huit autres. Tirez dont vite votre épée par les oreilles, ou, avant qu’elle soit hors de l’étui, vos oreilles sentiront la mienne.
TYBALT, l’épée à la main. - Je suis à vous.
ROMEO. - Mon bon Mercutio, remets ton épée.
MERCUTIO, à Tybalt. - Allons, messire, votre meilleure passe ! (Ils se battent.)
ROMEO. - Dégaine, Benvolio, et abattons leurs armes... Messieurs, par pudeur, reculez devant un tel outrage : Tybalt ! Mercutio ! Le prince a expressément interdit les rixes dans les rues de Vérone. Arrêtez, Tybalt ! cher Mercutio ! (Roméo étend son épée entre les combattants. Tybalt atteint Mercutio par-dessous le bras de Roméo et s’enfuit avec ses partisans.)
MERCUTIO. - Je suis blessé... Malédiction sur les deux maisons ! Je suis expédié... Il est parti ! Est-ce qu’il n’a rien ? (Il chancelle.)
BENVOLIO, soutenant Mercutio. - Quoi, es-tu blessé ?
MERCUTIO. - Oui, oui, une égratignure, morbleu, c’est bien suffisant... Où est mon page ? Maraud, va me chercher un chirurgien. (Le page sort.)
ROMEO. - Courage, ami : la blessure ne peut être sérieuse.
MERCUTIO. - Non, elle n’est pas aussi profonde qu’un puits, ni aussi large qu’une porte d’église ; mais elle est suffisante, elle peut compter : demandez à me voir demain, et, quand vous me retrouverez, j’aurai la gravité que donne la bière. Je sui poivré, je vous le garantis, assez pour ce bas monde... Malédiction sur vos deux maisons !... Moi, un homme, être égratigné à mort par un chien, un rat, une souris, un chat ! par un fier-à-bras, un gueux, un maroufle qui ne se bat que par règle d’arithmétique ! (A Roméo.) Pourquoi diable vous êtes-vous mis entre nous ? J’ai reçu le coup par-dessous votre bras.
ROMEO. - J’ai cru faire pour le mieux.
MERCUTIO. - Aide-moi jusqu’à une maison, Benvolio, ou je vais défaillir... Malédiction sur vos deux maisons ! Elles ont fait de moi de la viande à vermine... Oh ! j’ai reçu mon affaire, et bien à fond... Vos maisons ! (Mercutio sort, soutenu par Benvolio.)

William Shakespeare, Acte III, scène I, Roméo et Juliette, 1596
traduction de François-Victor Hugo


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SCENE III


VERONE – UN CIMETIERE AU MILIEU DUQUEL S’ELEVE LE TOMBEAU DES CAPULETS.
ENTRE PARIS SUIVI DE SON PAGE QUI PORTE UNE TORCHE ET DES FLEURS.


PÂRIS. - Page, donne-moi ta torche. Éloigne-toi et tiens-toi à l'écart ... Mais, non, éteins-la, car je ne veux pas être vu. Va te coucher sous ces ifs là-bas, en appliquant ton oreille contre la terre sonore ; aucun pied ne pourra se poser sur le sol du cimetière, tant de fois amolli et foulé par la bêche du fossoyeur sans que tu l'entendes : tu siffleras, pour m'avertir, si tu entends approcher quelqu'un ... Donne-moi ces fleurs. Fais ce que je te dis. Va.
LE PAGE, à part. - J'ai presque peur de rester seul ici dans le cimetière ; pourtant je me risque. (Il se retire.)
PÂRIS. - Douce fleur, je sème ces fleurs sur ton lit nuptial, dont le dais, hélas ! est fait de poussière et de pierres ; je viendrai chaque nuit les arroser d'eau douce, ou, à son défaut, de larmes distillées par des sanglots ; oui, je veux célébrer tes funérailles en venant, chaque nuit, joncher ta tombe et pleurer (Lueur d'une torche et bruit de pas au loin. le page siffle.) Le page m'avertit que quelqu'un approche. Quel est ce pas sacrilège qui erre par ici la nuit et trouble les rites funèbres de mon amour ? ... Eh quoi ! une torche !... Nuit, voile-moi un instant. (Il se cache.)

ENTRE ROMEO, SUIVI DE BALTHAZAR QUI PORTE UNE TORCHE, UNE PIOCHE ET UN LEVIER.

ROMEO. - Donne-moi cette pioche et ce croc d'acier. (Remettant un papier au page.) Tiens, prends cette lettre; demain matin, de bonne heure, aie soin de la remettre à mon seigneur et père... Donne-moi la lumière. Sur ta vie, voici mon ordre : quoi que tu voies ou entendes, reste à l'écart et ne m'interromps pas dans mes actes. Si je descends dans cette alcôve de la mort c'est pour contempler les traits de ma dame, mais surtout pour détacher de son doigt inerte un anneau précieux, un anneau que je dois employer à un cher usage. Ainsi, éloigne-toi, va-t'en ... Mais si, cédant au soupçon, tu oses revenir pour épier ce que je veux faire, par le ciel, je te déchirerai lambeau par lambeau, et je joncherai de tes membres ce cimetière affamé. Ma résolution est farouche comme le moment : elle est plus terrible et plus inexorable que le tigre à jeun ou la mer rugissante.
BALTHAZAR. - Je m'en vais, monsieur, et je ne vous troublerai pas.
ROMEO. - C'est ainsi que tu me prouveras ton dévouement ... (Lui jetant sa bourse.) Prends ceci : vis et prospère... Adieu, cher enfant.
BALTHAZAR, à part. - N'importe. Je vais me cacher aux alentours ; sa mine m'effraye, et je suis inquiet sur ses intentions. (Il se retire.)
ROMEO, prenant le levier et allant au tombeau. - Horrible gueule, matrice de la mort, gorgée de ce que la terre a de plus précieux, je parviendrai bien à ouvrir tes lèvres pourries et à te fourrer de force une nouvelle proie ! (Il enfonce la porte du monument.)
PÂRIS. - C'est ce banni, ce Montague hautain qui a tué le cousin de ma bien-aimée : la belle enfant en est morte de chagrin, à ce qu'on suppose. Il vient ici pour faire quelque infâme outrage aux cadavres : je vais l'arrêter.. (Il s'avance.) Suspends ta besogne, impie, vil Montague : la vengeance peut-elle se poursuivre au-delà de la mort ? Misérable condamné, je t'arrête. Obéis et viens avec moi ; car il faut que tu meures.
ROMEO. - Il le faut en effet, et c'est pour cela que je suis venu ici... Bon jeune homme, ne tente pas un désespéré, sauve-toi d'ici et laisse-moi... (Montrant les tombeaux.) Songe à tous ces morts, et recule épouvanté... Je t'en supplie, jeune homme, ne charge pas ma tête d'un péché nouveau en me poussant à la fureur.. Oh ! va-t'en. Par le ciel, je t'aime plus que moi-même, car c'est contre moi-même que je viens ici armé. Ne reste pas, va-t'en ; vis, et dis plus tard que la pitié d'un furieux t'a forcé de fuir.
PÂRIS, l'épée à la main. - Je brave ta commisération, et je t'arrête ici comme félon.
ROMEO. - Tu veux donc me provoquer ? Eh bien, à toi, enfant. (Ils se battent.)
LE PAGE. - Ô ciel ! ils se battent : je vais appeler le guet. (Il sort en courant.)
PÂRIS, tombant. - Oh ! je suis tué !... Si tu es généreux, ouvre le tombeau et dépose-moi près de Juliette. (Il expire.)
ROMEO. - Sur ma foi, je le ferai. (Se penchant sur le cadavre.) Examinons cette figure : un parent de Mercutio, le noble comte Pâris ! Que m'a donc dit mon valet ? Mon âme, bouleversée, n'y a pas fait attention... Nous étions à cheval... Il me contait, je crois, que Pâris devait épouser Juliette. M'a-t-il dit cela, ou l'ai-je rêvé ? Ou, en l'entendant parler de Juliette, ai-je eu la folie de m'imaginer cela ? (Prenant le cadavre par le bras.) Oh ! donne-moi ta main, toi que l'âpre adversité a inscrit comme moi sur son livre ! Je vais t'ensevelir dans un tombeau triomphal... Un tombeau ? oh ! non, jeune victime, c'est un Louvre splendide, car Juliette y repose, et sa beauté fait de ce caveau une salle de fête illuminée. (Il dépose Pâris dans le monument.) Mort, repose ici, enterré par un mort. Que de fois les hommes à l'agonie ont eu un accès de joie, un éclair avant la mort, comme disent ceux qui les soignent... Ah! comment comparer ceci à un éclair ? (Contemplant le corps de Juliette.) Mon amour ! ma femme ! La mort qui a sucé le miel de ton haleine n'a pas encore eu de pouvoir sur ta beauté : elle ne t'a pas conquise ; la flamme de la beauté est encore toute cramoisie sur tes lèvres et sur tes joues, et le pâle drapeau de la mort n'est pas encore déployé là... (Allant à un autre cercueil.) Tybalt ! te voilà donc couché dans ton linceul sanglant ! Oh ! que puis-je faire de plus pour toi ? De cette même main qui faucha ta jeunesse, je vais abattre celle de ton ennemi. Pardonne-moi, cousin. (Revenant sur ses pas.) Ah ! chère Juliette, pourquoi es-tu si belle encore ? Dois-je croire que le spectre de la Mort est amoureux et que l'affreux monstre décharné te garde ici dans les ténèbres pour te posséder ?... Horreur ! Je veux rester près de toi, et ne plus sortir de ce sinistre palais de la nuit ; ici, ici, je veux rester avec ta chambrière, la vermine ! Oh ! c'est ici que je veux fixer mon éternelle demeure et soustraire au joug des étoiles ennemies cette chair lasse du monde... (Tenant le corps embrassé.) Un dernier regard, mes yeux ! bras, une dernière étreinte ! et vous, lèvres, vous, portes de l'haleine, scellez par un baiser légitime un pacte indéfini avec le sépulcre accapareur ! (Saisissant la fiole.) Viens, amer conducteur, viens, âcre guide. Pilote désespéré, vite ! lance sur les brisants ma barque épuisée par la tourmente ! À ma bien-aimée ! (Il boit le poison.) Oh ! l'apothicaire ne m'a pas trompé : ses drogues sont actives ... Je meurs ainsi ... sur un baiser ! (Il expire en embrassant Juliette.)

FRERE LAURENCE PARAIT A L'AUTRE EXTREMITE DU CIMETIERE,
AVEC UNE LANTERNE, UN LEVIER ET UNE BECHE.

LAURENCE. - Saint François me soit en aide ! Que de fois cette nuit mes vieux pieds se sont heurtés à des tombes ! (Il rencontre Balthazar étendu à terre.) Qui est là ?
BALTHAZAR, se relevant. - Un ami ! quelqu'un qui vous connaît bien.
LAURENCE, montrant le tombeau des Capulets. - Soyez béni !... Dites-moi, mon bon ami, quelle est cette torche là-bas qui prête sa lumière inutile aux larves et aux crânes sans yeux ? Il me semble qu'elle brûle dans le monument des Capulets.
BALTHAZAR. - En effet, saint prêtre ; il y a là mon maître, quelqu'un que vous aimez.
LAURENCE. - Qui donc ?
BALTHAZAR. - Roméo.
LAURENCE. - Combien de temps a-t-il été là ?
BALTHAZAR. - Une grande demi-heure.
LAURENCE. - Viens avec moi au caveau.
BALTHAZAR. - Je n'ose pas, messire. Mon maître croit que je suis parti ; il m'a menacé de mort en termes effrayants, si je restais à épier ses actes.
LAURENCE. - Reste donc, j'irai seul... L'inquiétude me prend : oh ! je crains bien quelque malheur.
BALTHAZAR. - Comme je dormais ici sous cet if, j'ai rêvé que mon maître se battait avec un autre homme et que mon maître le tuait.
LAURENCE, allant vers le tombeau. - Roméo ! (Dirigeant la lumière de sa lanterne sur l'entrée du tombeau.) Hélas ! hélas ! quel est ce sang qui tache le seuil de pierre de ce sépulcre ? Pourquoi ces épées abandonnées et sanglantes projettent-elles leur sinistre lueur sur ce lieu de paix ? (Il entre dans le monument.) Roméo ! Oh ! qu'il est pâle !... Quel est cet autre ? Quoi, Pâris aussi ! baigné dans son sang ! Oh ! quelle heure cruelle est donc coupable de cette lamentable catastrophe ? ... (Éclairant Juliette.) Elle remue ! (Juliette s'éveille et se soulève.)
JULIETTE. - Ô frère charitable, où est mon seigneur ? Je me rappelle bien en quel lieu je dois être : m'y voici... Mais où est Roméo ? (Rumeur au loin. )
LAURENCE. - J'entends du bruit... Ma fille, quitte ce nid de mort, de contagion, de sommeil contre nature. Un pouvoir au-dessus de nos contradictions a déconcerté nos plans. Viens, viens, partons ! Ton mari est là gisant sur ton sein, et voici Pâris. Viens, je te placerai dans une communauté de saintes religieuses ; pas de questions ! le guet arrive... Allons, viens, chère Juliette. (La rumeur se rapproche.) Je n'ose rester plus longtemps. (Il sort du tombeau et disparaît.)
JULIETTE. - Va, sors d'ici, car je ne m'en irai pas, moi. Qu'est ceci ? Une coupe qu'étreint la main de mon bien-aimé ? C'est le poison, je le vois, qui a causé sa fin prématurée. L'égoïste ! il a tout bu ! il n'a pas laissé une goutte amie pour m'aider à le rejoindre ! Je veux baiser tes lèvres : peut-être y trouverai-je un reste de poison dont le baume me fera mourir ... (Elle l'embrasse. ) Tes lèvres sont chaudes !
PREMIER GARDE, derrière le théâtre. - Conduis-nous, page... De quel côté ?
JULIETTE. - Oui, du bruit ! Hâtons-nous donc ! (Saisissant le poignard de Roméo.) Ô heureux poignard ! voici ton fourreau... (Elle se frappe.) Rouille-toi là et laisse-moi mourir ! (Elle tombe sur le corps de Roméo et expire.)


William Shakespeare, Acte V, scène III, Roméo et Juliette, 1596
traduction de François-Victor Hugo


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MessageSujet: Re: Français - Textes de l'oral du BAC   Français - Textes de l'oral du BAC Icon_minitimeMer 21 Avr - 16:46

HEUREUX QUI, COMME ULYSSE...

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestui là qui conquit la Toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison,
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup d’avantage ?

Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine,

Plus mon Loire Gaulois, que le Tibre Latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur Angevine.

Joachim Du Bellay, XXXI, Les Regrets, 1558


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CHANSON D’AUTOMNE

Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
Monotone.

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure ;
Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.

Paul Verlaine, V, Paysages Tristes, Poèmes saturniens, 1866


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LE SERPENT QUI DANSE


Que j’aime voir, chère indolente,
De ton corps si beau,
Comme une étoffe vacillante,
Miroiter la peau !

Sur ta chevelure profonde
Aux âcres parfums,
Mer odorante et vagabonde
Aux flots bleus et bruns,

Comme un navire qui s’éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain.

Tes yeux, où rien ne se révèle
De doux ni d’amer,
Sont deux bijoux froids où se mêle
L’or avec le fer.

À te voir marcher en cadence,
Belle d’abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d’un bâton.

Sous le fardeau de ta paresse
Ta tête d’enfant
Se balance avec la mollesse
D’un jeune éléphant,

Et ton corps se penche et s’allonge
Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord et plonge
Ses vergues dans l’eau.

Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants,
Quand l’eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,

Je crois boire un vin de Bohême,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
D’étoiles mon cœur !

Charles Baudelaire, XXVIII, Spleen et Idéal, Les Fleurs du mal, 1857


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LE PONT MIRABEAU


Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913


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MessageSujet: Re: Français - Textes de l'oral du BAC   Français - Textes de l'oral du BAC Icon_minitimeMer 21 Avr - 16:57

Un jour, il te vient le désir d’entreprendre un récit où tu parlerais de tes deux mères
l’esseulée et la vaillante
l’étouffée et la valeureuse
la jetée-dans-la-fosse et la toute-donnée.
Leurs destins ne se sont jamais croisés, mais l’une par le vide créé, l’autre par son inlassable présence, elles n’ont cessé de t’entourer, te protéger, te tenir dans l’orbe de leur douce lumière.
Dire ce que tu leur dois. Entretenir leur mémoire. Leur exprimer ton amour. Montrer tout ce qui d’elles est passé en toi.
Puis relater ton parcours, cette aventure de la quête de soi dans laquelle tu as été contrait de t’engager. Tenter d’élucider d’où t’est venu ce besoin d’écrire. Narrer les rencontres, faits et événements qui t’ont marqué en profondeur et ont plus tard alimenté tes écrits.
Ce récit aura pour titre Lambeaux. Mais après en avoir rédigé une vingtaine de pages, tu dois l’abandonner. Il remue en toi trop de choses pour que tu puisses le poursuivre ? Si tu parviens un jour à le mener à terme, il sera la preuve que tu as réussi à t’affranchir de ton histoire, à gagner ton autonomie.
Ni l’une ni l’autre de tes deux mères n’a eu accès à la parole. Du moins à cette parole qui permet de se dire, se délivrer, se faire exister dans les mots. Parce que ces mêmes mots se refusaient à toi et que tu ne savais pas t’exprimer, tu as dû longuement lutter pour conquérir le langage. Et si tu as mené ce combat avec une telle obstination, il te plaît de penser que ce fut autant pour elles que pour toi.
Tu songes de temps à autres à Lambeaux. Tu as la vague idée qu’en l’écrivant, tu les tireras de la tombe. Leur donneras la parole. Formuleras ce qu’elles ont toujours tu.
Lorsqu’elles se lèvent en toi, que tu leurs parles, tu vois s’avancer à leur suite la cohorte des bâillonnés, des mutiques, des exilés des mots
ceux et celles qui ne se sont jamais remis de leur enfance
ceux et celles qui s’acharnent à se punir de n’avoir jamais été aimés
ceux et celles qui crèvent de se mépriser et se haïr
ceux et celles qui n’ont jamais pu parler parce qu’ils n’ont jamais été écoutés
ceux et celles qui ont été gravement humiliés et portent au flanc une plaie ouverte
ceux et celles qui étouffent de ces mots rentrés pourrissant dans leur gorge
ceux et celles qui n’ont jamais pu surmonter une fondamentale détresse.

Charles Juliet, II, Lambeaux, 1995


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Tes yeux. Immenses. Ton regard doux et patient où brûle ce feu qui te consume. Où sans relâche la nuit meurtrit ta lumière. Dans l’âtre, le feu qui ronfle, et toi, appuyée de l’épaule contre le manteau de la cheminée. A tes pieds, ce chien au regard vif et si souvent levé vers toi. Dehors, la neige et la brume. Le cauchemar des hivers. De leur nuit interminable. La route impraticable, et fréquemment tu songes à un départ, une vie autre, à l’infini des chemins. Ta morne existence dans ce village. Ta solitude ? Ces secondes indéfiniment distendues quand tu vacilles à la limite du supportable. Tes mots noués dans ta gorge. A chaque printemps, cet appel, cet élan, ta force enfin revenue. La route neuve et qui brille. Ce point si souvent scruté où elle coupe l’horizon. Mais à quoi bon partir. Toute fuite est vaine et tu le sais. Les longues heures spacieuses, toujours trop courtes, où tu vas et viens en toi, attentive, anxieuse, fouaillée par les questions qui alimentent ton incessant soliloque. Nul pour t’écouter, te comprendre, t’accompagner. Partir, partir, laisser tomber les chaînes, mais ce qui ronge, comment s’en défaire ? Au fond de toi, cette plainte, ce cri rauque qui est allé en s’amplifiant, mais que tu réprimais, refusais, niais, et qui au fil des jours, au fil des ans, a fini par t’étouffer. La nuit interminable des hivers. Tu sombrais. Te laissais vaincre. Admettais que la vie ne pourrait renaître. A jamais les routes interdites, enfouies, perdues. Mais ces instants que je voudrais revivre avec toi, ces instants où tu lâchais les amarres, te livrais éperdument à la flamme, où tu laissais s’épanouir ce qui te poussait à t’aventurer toujours plus loin, te maintenait les yeux ouverts face à l’inconnu. Tu n’aurais osé le reconnaître, mais à maintes reprises, il est certain que l’immense et l’amour ont déferlé sur tes terres. Puis comme un coup qui t’aurait brisé la nuque, ce brutal retour au quotidien, à la solitude, à la nuit qui n’en finissait pas. Effondrée, hagarde. Incapable de reprendre pied.
Te ressusciter. Te recréer. Te dire au fil des ans et des hivers avec cette lumière qui te portait, mais qui un jour, pour ton malheur et le mien, s’est déchirée.


Charles Juliet, Lambeaux, 1995


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Un homme doux, bourru, méditatif, aux yeux bleu pâle, bons et malicieux, cerclés de petites lunettes rondes. Avec une ample barbe grise, une épaisse tignasse blanche, aux longues mèches rebelles, qui lui tombent sur le front, et qu’à tout moment, d’un geste machinal, il repousse en arrière. Il te paraît ineffablement vieux. Les matins d’hiver, il prend sa chaise et vient s’installer près du poêle. Aussitôt vous l’imitez, vous disposant en cercle, genoux contre genoux. Le poêle ronfle, le bois qui brûle sent bon, tu peux voir par la fenêtre les fines branches nues des bouleaux osciller dans le vent, et tu t’abandonnes à cette quiétude, t’enivres du bien-être qui naît de cette chaleur et cette intimité. Il s’exprime avec lenteur, d’une voix grave et basse, attentif à ce qu’il lit sur vos visages. Tu l’écoutes avec une concentration si totale que ses paroles se gravent dans ta mémoire, et que la leçon qu’il fait, tu n’auras pas à l’apprendre. Combien tu aimes l’école ! Chaque fois que tu pousses la petite porte de fer et t’avances dans la cour, tu pénètres dans un monde autre, deviens une autre petite fille, et instantanément, tu oublies tout du village et de la ferme. Ce qui constitue ton univers - le maître, les cahiers et les livres, le tableau noir, l’odeur de la craie, les cartes de géographie, ton plumier et ton cartable, cette blouse noire trop longue que tu ne portes que les jours de classe – tu le vénères. Et la veille des grandes vacances, alors que les autres, au comble de l’excitation, crient, chantent et chahutent, tu quittes l’école en pleurant. Les deux dernières années, quand venait ton tour d’être interrogée, il renonçait à vérifier si tu savais ta leçon, t’attribuait d’office la meilleure note. Ton sérieux, ta maturité et ta soif d’apprendre l’avaient impressionné, et bien qu’il ne t’eût jamais rien dit de ce qu’il pensait de toi, tu sentais qu’il te voyait comme un petit phénomène et te tenait en particulière estime. Un jour, bien plus tard, alors que prise de nostalgie, tu revivais les heures avides et enchantées que tu avais connues là, dans cette petite salle de classe, à littéralement boire ses paroles, tu oses t’avouer que tu avais fini par le considérer comme un père. Un père que tu as aimé ainsi qu’on aime à cet âge, d’un amour entier, violent, absolu.

_______


Devant la cheminée, jambes offertes au feu qui flambe, tu lis les Psaumes lorsqu’une irrésistible impulsion te saisit et te pousse à te rendre à l’église, moins pour assister à la messe que pour écouter le sermon.

Sois attentif à ma clameur
je suis au fond de la misère...

Viens vite, réponds-moi,
je suis à bout de souffle...


Tu es toute vibrante de ces mots qui continuent de retentir en toi, et c’est avec une ferveur avide que tu t’apprêtes à recevoir cette méditation qu’une parole de l’Evangile a dû lui inspirer.
Tu voudrais que quelqu’un t’aide à débrouiller ces pensées confuses que tu ressasses. T’aider à répondre à ces questions qui se font de plus en plus pressantes et t’empêchent d’éprouver une nécessaire joie de vivre. Tant d’énigmes auxquelles on ne peut échapper et qui pèsent, nous sont un vrai fardeau.
Pourquoi es-tu née ici ? Dans cette famille ? Quand vas-tu mourir ? Pourquoi le père n’est-il jamais capable d’un mot gentil ? Le destin te permettra-t-il de toujours veiller sur tes jeune sœurs ? Que te réservent les années qui viennent ? Quel caractère aura l’homme qui deviendra ton époux ? Parlera-t-il aussi peu que le père ? Si Dieu existe, pourquoi permet-il qu’il y ait la solitude, la maladie, la mort ? Est-il possible qu’il se préoccupe à chaque instant de chacun des humains qui peuplent la terre ? Pourquoi tient-il à nous faire renaître après la mort s’il tolère que cette vie ne nous apporte le plus souvent que déceptions, tristesse, amertume ? Et puisqu’il sait ce que son fils a enduré, pourquoi n’a-t-il pas pris des mesures pour faire en sorte que nous n’ayons jamais à souffrir ?
Les larges traînées d’humidité sur les murs. Tu frissonnes. Le silence rompu par les toux. Des femmes en noir, bras croisés, tassées sur leur banc, la tête enfoncée dans les épaules. Derrière toi, debout, quelques hommes. Une pesante atmosphère d’ennui, de vie figée, qui sourdement te pénètre, fait tomber ta ferveur.
Les marches de bois vermoulu craquent quand il monte en chaire. Les cheveux blancs, les joues creuses, un regard éteint. Qu’a-t-il compris ? Que sait-il ? Saurait-il répondre à certaines des questions qui te taraudent ? Aller un jour frapper à sa porte. Mais à quoi bon ? Ces cloisons invisibles qui rendent impossible toute rencontre.
Il garde quelques secondes le silence, approche une feuille près de son visage, puis commence à lire d’une voix terne et étouffée : Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de ma croix et qu’il me suive...
Se renier soi-même ? Tu t’interroges sur la signification de ces mots que tu as du mal à comprendre. Mais il explique. Il faut s’oublier, ne pas pense à soi. Il faut quitter sa maison et partir pour vivre une vie plus haute que celle que nous menons habituellement, englués que nous sommes dans le quotidien. Déjà tu n’écoutes plus. Partir, partir...


Charles Juliet, I, Lambeaux, 1995


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Mais le pire, ce sont les soirs d‘hiver où il faut aller chercher du vin à la cave.
Chaque pas, chaque geste mis au point en vue de ne pas faire durer la terrible épreuve une seconde de plus.
Sortir, plonger dans la ténèbre, traverser la cour, ouvrir la porte d’une main ni trop lente ni trop rapide, éclairer, dévaler les escaliers avec l’impression que tu t’enfonces graduellement dans l’abîme, la lumière avare qui n’éclaire qu’un faible espace et laisse dans l’ombre le tonneau près duquel tu dois attendre interminablement que ton pot se remplisse, le robinet haï qui ne laisse couler qu’un mince filet noir, le sang qui bat aux temps, les oreilles qui bourdonnent, puis remonter, t’empêcher de gravir les marches quatre à quatre, veiller à ce que le vin ne s’échappe pas du pot tenu par une main qui tremble, éteindre, refermer précautionneusement la porte, mais la serrure qui grince et risque de signaler ta présence, la cour traversée en trois bonds, la lumière retrouvée de la cuisine, attendre un instant dehors appuyé contre le mur, reprendre haleine, laisser le coeur se calmer, retrouver la possibilité d’entendre et de parler, puis bravement pousser la porte et reprendre ta place à table comme si rien ne s’était passé.
Chaque fois, terrifié. Chaque fois dans un tel état que tu t’approchais de la folie.

Charles Juliet, II, Lambeaux, 1995


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Et comment éviter que ton désir et le bonheur de savoir qu’une femme t’aime ne soient corrodés par une lancinante culpabilité ? Le chef et sa confiance et son amitié. La mère à laquelle tu penses si souvent et qui te semonce, te rappelle que tu as reçu une éducation religieuse, que tu dois savoir qu’il y a des choses qui ne se font pas. Tu mourrais de honte si elle le savait.
Ecartelé. Pris dans une bourrasque qui te jette brutalement en pleine crise d’adolescence, ajoute maintes questions à celles que tu te posais déjà, fait soudain se craqueler ton enfance.
Tourments. Fissures. Le sentiment que la vie n’a qu’une seule face et qu’elle est sombre.
Ainsi l’ennui. Comme si une sorte de grisaille s’était déposée sur les êtres et les choses, avait tout envahi. L’impossibilité de participer. De t’intéresser à toi-même et à ce que sera ton avenir. Il t’apparaît ô combien vain de travailler, de lutter, de faire tant d’efforts, puisque la mort pourrait t’abattre d’une seconde à l’autre et que tout pour toi s’effondrera un jour.
Ainsi la solitude. Cette irruption de l’angoisse lors des premiers jours passés dans cette caserne. La mère et les sœurs n’étaient plus là pour te guider, décider pour toi, t’entourer d’affection. Désormais tu ne pouvais plus compter que sur toi-même et tu te sentais perdu. Maintenant ce lourd secret. Auprès de qui t’en délivrer et prendre conseil ? Dois-tu céder à ton désir ou écouter la voix de cette culpabilité qui te presse de demander à cette femme de tout arrêter là ?
Ainsi les humiliations. Des injures et des menaces qui créent des ravages. Ce besoin chez tel sous-officier de blesser, d’écraser, de t’atteindre au plus profond, de lacérer ton être, de plonger la lame à l’intime de ta pulpe. Après, pendant des jours, la blessure saigne, tu ne peux penser à rien d’autre, es incapable de parler. Une blessure qui te souille, t’avilit, et qui, en te dépouillant de ta dignité, t’a persuadé que tu étais un minable.
Ainsi les coups de cafard. Des éboulements à l’intérieur de l’être. Rien ne semble plus possible. Une seule issue : renoncer, déposer les armes. Ce jours où tu broies du noir. Où hébété de souffrance tu ne comprends rien à rien. Où ta vie de jeune militaire te paraît littéralement insupportable.
Ainsi les révoltes. Mais des révoltes étouffées. Car tu as très tôt compris que si tu te dressais pour dire non, tu serais brisé, et que ta vie ne serait qu’une infernale descente aux enfers. Des révoltes qui vont jusqu’à te donner des envies de meurtre, mais que tu réprimes avec violence de peur qu’un jour elles ne te poussent à commettre un acte inconsidéré. Puis quand le calme revient, ce désir de fuite, de partir loin, de marcher sans fin sur les routes...

Charles Juliet, II, Lambeaux, 1995


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Alicia P.
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MessageSujet: Re: Français - Textes de l'oral du BAC   Français - Textes de l'oral du BAC Icon_minitimeSam 12 Juin - 15:43

Nous étions à l'Étude, quand le Proviseur entra, suivi d'un nouveau habillé en bourgeois et d'un garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail.
Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir ; puis, se tournant vers le maître d'études :
– Monsieur Roger, lui dit-il à demi voix, voici un élève que je vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa conduite sont méritoires, il passera dans les grands, où l'appelle son âge.
Resté dans l'angle, derrière la porte, si bien qu'on l'apercevait à peine, le nouveau était un gars de la campagne, d'une quinzaine d'années environ, et plus haut de taille qu'aucun de nous tous. Il avait les cheveux coupés droit sur le front, comme un chantre de village, l'air raisonnable et fort embarrassé. Quoiqu'il ne fût pas large des épaules, son habit-veste de drap vert à boutons noirs devait le gêner aux entournures et laissait voir, par la fente des parements, des poignets rouges habitués à être nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient d'un pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il était chaussé de souliers forts, mal cirés, garnis de clous.
On commença la récitation des leçons. Il les écouta de toutes ses oreilles, attentif comme au sermon, n'osant même croiser les cuisses, ni s'appuyer sur le coude, et, à deux heures, quand la cloche sonna, le maître d'études fut obligé de l'avertir, pour qu'il se mît avec nous dans les rangs.
Nous avions l'habitude, en entrant en classe, de jeter nos casquettes par terre, afin d'avoir ensuite nos mains plus libres ; il fallait, dès le seuil de la porte, les lancer sous le banc, de façon à frapper contre la muraille en faisant beaucoup de poussière ; c'était là le genre.
Mais, soit qu'il n'eût pas remarqué cette manoeuvre ou qu'il n'eût osé s'y soumettre, la prière était finie que le nouveau tenait encore sa casquette sur ses deux genoux. C'était une de ces coiffures d'ordre composite, où l'on retrouve les éléments du bonnet à poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le visage d'un imbécile. Ovoïde et renflée de baleines, elle commençait par trois boudins circulaires ; puis s'alternaient, séparés par une bande rouge, des losanges de velours et de poils de lapin ; venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone cartonné, couvert d'une broderie en soutache compliquée, et d'où pendait, au bout d'un long cordon trop mince, un petit croisillon de fils d'or, en manière de gland. Elle était neuve ; la visière brillait.
– Levez-vous, dit le professeur.
Il se leva ; sa casquette tomba. Toute la classe se mit à rire.
Il se baissa pour la reprendre. Un voisin la fit tomber d'un coup de coude, il la ramassa encore une fois.
– Débarrassez-vous donc de votre casque, dit le professeur, qui était un homme d'esprit.
Il y eut un rire éclatant des écoliers qui décontenança le pauvre garçon, si bien qu'il ne savait s'il fallait garder sa casquette à la main, la laisser par terre ou la mettre sur sa tête. Il se rassit et la posa sur ses genoux.
– Levez-vous, reprit le professeur, et dites-moi votre nom.
Le nouveau articula, d'une voix bredouillante, un nom inintelligible.
– Répétez !
Le même bredouillement de syllabes se fit entendre, couvert par les huées de la classe.
– Plus haut ! cria le maître, plus haut !
Le nouveau, prenant alors une résolution extrême, ouvrit une bouche démesurée et lança à pleins poumons, comme pour appeler quelqu'un, ce mot : Charbovari.
Ce fut un vacarme qui s'élança d'un bond, monta en crescendo, avec des éclats de voix aigus (on hurlait, on aboyait, on trépignait, on répétait : Charbovari ! Charbovari !), puis qui roula en notes isolées, se calmant à grand-peine, et parfois qui reprenait tout à coup sur la ligne d'un banc où saillissait encore çà et là, comme un pétard mal éteint, quelque rire étouffé.

Gustave Flaubert, Chapitre I, Première Partie, Madame Bovary, 1857


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Une jeune femme, en robe de mérinos bleu garnie de trois volants, vint sur le seuil de la maison pour recevoir M. Bovary, qu'elle fit entrer dans la cuisine, où flambait un grand feu. Le déjeuner des gens bouillonnait alentour, dans des petits pots de taille inégale. Des vêtements humides séchaient dans l'intérieur de la cheminée. La pelle, les pincettes et le bec du soufflet, tous de proportion colossale, brillaient comme de l'acier poli, tandis que le long des murs s'étendait une abondante batterie de cuisine, où miroitait inégalement la flamme claire du foyer, jointe aux premières lueurs du soleil arrivant par les carreaux.
Charles monta, au premier, voir le malade. Il le trouva dans son lit, suant sous ses couvertures et ayant rejeté bien loin son bonnet de coton. C'était un gros petit homme de cinquante ans, à la peau blanche, à l'œil bleu, chauve sur le devant de la tête, et qui portait des boucles d'oreilles. Il avait à ses côtés, sur une chaise, une grande carafe d'eau-de-vie, dont il se versait de temps à autre pour se donner du coeur au ventre ; mais, dès qu'il vit le médecin, son exaltation tomba, et, au lieu de sacrer comme il faisait depuis douze heures, il se prit à geindre faiblement.
La fracture était simple, sans complication d'aucune espèce. Charles n'eût osé en souhaiter de plus facile. Alors, se rappelant les allures de ses maîtres auprès du lit des blessés, il réconforta le patient avec toutes sortes de bons mots, caresses chirurgicales qui sont comme l'huile dont on graisse les bistouris. Afin d'avoir des attelles, on alla chercher, sous la charretterie, un paquet de lattes. Charles en choisit une, la coupa en morceaux et la polit avec un éclat de vitre, tandis que la servante déchirait des draps pour faire des bandes, et que mademoiselle Emma tâchait à coudre des coussinets. Comme elle fut longtemps avant de trouver son étui, son père s'impatienta ; elle ne répondit rien ; mais, tout en cousant, elle se piquait les doigts, qu'elle portait ensuite à sa bouche pour les sucer.
Charles fut surpris de la blancheur de ses ongles. Ils étaient brillants, fins du bout, plus nettoyés que les ivoires de Dieppe, et taillés en amande. Sa main pourtant n'était pas belle, point assez pâle peut-être, et un peu sèche aux phalanges ; elle était trop longue aussi, et sans molles inflexions de lignes sur les contours. Ce qu'elle avait de beau, c'étaient les yeux ; quoiqu'ils fussent bruns, ils semblaient noirs à cause des cils, et son regard arrivait franchement à vous avec une hardiesse candide.
Une fois le pansement fait, le médecin fut invité, par M. Rouault lui-même, à prendre un morceau avant de partir.
Charles descendit dans la salle, au rez-de-chaussée. Deux couverts, avec des timbales d'argent, y étaient mis sur une petite table, au pied d'un grand lit à baldaquin revêtu d'une indienne à personnages représentant des Turcs. On sentait une odeur d'iris et de draps humides, qui s'échappait de la haute armoire en bois de chêne, faisant face à la fenêtre. Par terre, dans les angles, étaient rangés, debout, des sacs de blé. C'était le trop-plein du grenier proche, où l'on montait par trois marches de pierre. Il y avait, pour décorer l'appartement, accrochée à un clou, au milieu du mur dont la peinture verte s'écaillait sous le salpêtre, une tête de Minerve au crayon noir, encadrée de dorure, et qui portait au bas, écrit en lettres gothiques : « À mon cher papa. »
On parla d'abord du malade, puis du temps qu'il faisait, des grands froids, des loups qui couraient les champs, la nuit. Mademoiselle Rouault ne s'amusait guère à la campagne, maintenant surtout qu'elle était chargée presque à elle seule des soins de la ferme. Comme la salle était fraîche, elle grelottait tout en mangeant, ce qui découvrait un peu ses lèvres charnues, qu'elle avait coutume de mordillonner à ses moments de silence.
Son cou sortait d'un col blanc, rabattu. Ses cheveux, dont les deux bandeaux noirs semblaient chacun d'un seul morceau, tant ils étaient lisses, étaient séparés sur le milieu de la tête par une raie fine, qui s'enfonçait légèrement selon la courbe du crâne ; et, laissant voir à peine le bout de l'oreille, ils allaient se confondre par derrière en un chignon abondant, avec un mouvement ondé vers les tempes, que le médecin de campagne remarqua là pour la première fois de sa vie. Ses pommettes étaient roses. Elle portait, comme un homme, passé entre deux boutons de son corsage, un lorgnon d'écaille.
Quand Charles, après être monté dire adieu au père Rouault, rentra dans la salle avant de partir, il la trouva debout, le front contre la fenêtre, et qui regardait dans le jardin, où les échalas des haricots avaient été renversés par le vent. Elle se retourna.
– Cherchez-vous quelque chose ? demanda-t-elle.
– Ma cravache, s'il vous plaît, répondit-il.
Et il se mit à fureter sur le lit, derrière les portes, sous les chaises ; elle était tombée à terre, entre les sacs et la muraille. Mademoiselle Emma l'aperçut ; elle se pencha sur les sacs de blé. Charles, par galanterie, se précipita et, comme il allongeait aussi son bras dans le même mouvement, il sentit sa poitrine effleurer le dos de la jeune fille, courbée sous lui. Elle se redressa toute rouge et le regarda par-dessus l'épaule, en lui tendant son nerf de bœuf.

Gustave Flaubert, Chapitre II, Première Partie, Madame Bovary, 1857


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M. Lieuvain se rassit alors ; M. Derozerays se leva, commençant un autre discours. Le sien peut-être, ne fut point aussi fleuri que celui du Conseiller ; mais il se recommandait par un caractère de style plus positif, c'est-à-dire par des connaissances plus spéciales et des considérations plus relevées. Ainsi, l'éloge du gouvernement y tenait moins de place ; la religion et l'agriculture en occupaient davantage. On y voyait le rapport de l'une et de l'autre, et comment elles avaient concouru toujours à la civilisation. Rodolphe, avec madame Bovary, causait rêves, pressentiments, magnétisme. Remontant au berceau des sociétés, l'orateur vous dépeignait ces temps farouches où les hommes vivaient de glands, au fond des bois. Puis ils avaient quitté la dépouille des bêtes, endossé le drap, creusé des sillons, planté la vigne. Était-ce un bien, et n'y avait-il pas dans cette découverte plus d'inconvénients que d'avantages ? M. Derozerays se posait ce problème. Du magnétisme, peu à peu, Rodolphe en était venu aux affinités, et, tandis que M. le président citait Cincinnatus à sa charrue, Dioclétien plantant ses choux, et les empereurs de la Chine inaugurant l'année par des semailles, le jeune homme expliquait à la jeune femme que ces attractions irrésistibles tiraient leur cause de quelque existence antérieure.
– Ainsi, nous, disait-il, pourquoi nous sommes-nous connus ? quel hasard l'a voulu ? C'est qu'à travers l'éloignement, sans doute, comme deux fleuves qui coulent pour se rejoindre, nos pentes particulières nous avaient poussés l'un vers l'autre.
Et il saisit sa main ; elle ne la retira pas.

«Ensemble de bonnes cultures !» cria le président.

– Tantôt, par exemple, quand je suis venu chez vous...

«À M. Bizet, de Quincampoix.»

– Savais-je que je vous accompagnerais ?

«Soixante et dix francs !»

– Cent fois même j'ai voulu partir, et je vous ai suivie, je suis resté.

«Fumiers.»

– Comme je resterais ce soir, demain, les autres jours, toute ma vie !

«À M. Caron, d'Argueil, une médaille d'or !»

– Car jamais je n'ai trouvé dans la société de personne un charme aussi complet.

«À M. Bain, de Givry-Saint-Martin !»

– Aussi, moi, j'emporterai votre souvenir.

«Pour un bélier mérinos...»

– Mais vous m'oublierez, j'aurai passé comme une ombre.

«À M. Belot, de Notre-Dame...»

– Oh ! non, n'est-ce pas, je serai quelque chose dans votre pensée, dans votre vie ?

«Race porcine, prix ex aequo : à MM. Lehérissé et Cullembourg ; soixante francs !»

Rodolphe lui serrait la main, et il la sentait toute chaude et frémissante comme une tourterelle captive qui veut reprendre sa volée ; mais, soit qu'elle essayât de la dégager ou bien qu'elle répondît à cette pression, elle fit un mouvement des doigts ; il s'écria :
– Oh ! merci ! Vous ne me repoussez pas ! Vous êtes bonne ! vous comprenez que je suis à vous ! Laissez que je vous voie, que je vous contemple !
Un coup de vent qui arriva par les fenêtres fronça le tapis de la table, et, sur la Place, en bas, tous les grands bonnets des paysannes se soulevèrent, comme des ailes de papillons blancs qui s'agitent.

«Emploi de tourteaux de graines oléagineuses», continua le président.
Il se hâtait :
«Engrais flamand, – culture du lin, – drainage, – baux à longs termes, – services de domestiques.»

Rodolphe ne parlait plus. Ils se regardaient. Un désir suprême faisait frissonner leurs lèvres sèches ; et mollement, sans effort, leurs doigts se confondirent.

Gustave Flaubert, Chapitre VIII, Deuxième Partie, Madame Bovary, 1857


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Cependant elle n'était plus aussi pâle, et son visage avait une expression de sérénité, comme si le sacrement l'eût guérie.
Le prêtre ne manqua point d'en faire l'observation ; il expliqua même à Bovary que le Seigneur, quelquefois, prolongeait l'existence des personnes lorsqu'il le jugeait convenable pour leur salut ; et Charles se rappela un jour où, ainsi près de mourir, elle avait reçu la communion.
– Il ne fallait peut-être pas se désespérer, pensa-t-il.
En effet, elle regarda tout autour d'elle, lentement, comme quelqu'un qui se réveille d'un songe ; puis, d'une voix distincte, elle demanda son miroir, et elle resta penchée dessus quelque temps, jusqu'au moment où de grosses larmes lui découlèrent des yeux. Alors elle se renversa la tête en poussant un soupir et retomba sur l'oreiller.
Sa poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement. La langue tout entière lui sortit hors de la bouche ; ses yeux, en roulant, pâlissaient comme deux globes de lampe qui s'éteignent, à la croire déjà morte, sans l'effrayante accélération de ses côtes, secouées par un souffle furieux, comme si l'âme eût fait des bonds pour se détacher. Félicité s'agenouilla devant le crucifix, et le pharmacien lui-même fléchit un peu les jarrets, tandis que M. Canivet regardait vaguement sur la place. Bournisien s'était remis en prière, la figure inclinée contre le bord de la couche, avec sa longue soutane noire qui traînait derrière lui dans l'appartement. Charles était de l'autre côté, à genoux, les bras étendus vers Emma. Il avait pris ses mains et il les serrait, tressaillant à chaque battement de son coeur, comme au contrecoup d'une ruine qui tombe. À mesure que le râle devenait plus fort, l'ecclésiastique précipitait ses oraisons ; elles se mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary, et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des syllabes latines, qui tintaient comme un glas de cloche.
Tout à coup, on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d'un bâton ; et une voix s'éleva, une voix rauque, qui chantait :

Souvent la chaleur d'un beau jour
Fait rêver fillette à l'amour.


Emma se releva comme un cadavre que l'on galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe, béante.

Pour amasser diligemment
Les épis que la faux moissonne,
Ma Nanette va s'inclinant
Vers le sillon qui nous les donne.


– L'Aveugle s'écria-t-elle.
Et Emma se mit à rire, d'un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable, qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement.

Il souffla bien fort ce jour-là,
Et le jupon court s'envola !


Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s'approchèrent. Elle n'existait plus.

Gustave Flaubert, Chapitre VIII, Troisième Partie, Madame Bovary, 1857


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Le lendemain, Charles alla s'asseoir sur le banc, dans la tonnelle. Des jours passaient par le treillis ; les feuilles de vigne dessinaient leurs ombres sur le sable, le jasmin embaumait, le ciel était bleu, des cantharides bourdonnaient autour des lis en fleur, et Charles suffoquait comme un adolescent sous les vagues effluves amoureux qui gonflaient son coeur chagrin.
À sept heures, la petite Berthe, qui ne l'avait pas vu de toute l'après-midi, vint le chercher pour dîner.
Il avait la tête renversée contre le mur, les yeux clos, la bouche ouverte, et tenait dans ses mains une longue mèche de cheveux noirs.
– Papa, viens donc ! dit-elle.
Et, croyant qu'il voulait jouer, elle le poussa doucement. Il tomba par terre. Il était mort.
Trente-six heures après, sur la demande de l'apothicaire, M. Canivet accourut. Il l'ouvrit et ne trouva rien.
Quand tout fut vendu, il resta douze francs soixante et quinze centimes qui servirent à payer le voyage de mademoiselle Bovary chez sa grand-mère. La bonne femme mourut dans l'année même ; le père Rouault étant paralysé, ce fut une tante qui s'en chargea. Elle est pauvre et l'envoie, pour gagner sa vie, dans une filature de coton.
Depuis la mort de Bovary, trois médecins se sont succédé à Yonville sans pouvoir y réussir, tant M. Homais les a tout de suite battus en brèche. Il fait une clientèle d'enfer ; l'autorité le ménage et l'opinion publique le protège.
Il vient de recevoir la croix d'honneur.

Gustave Flaubert, Chapitre XI, Troisième Partie, Madame Bovary, 1857


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